Petite, je me nourrissais de contes comme de
poulet frit. C’était ma passion. Ceux d’Andersen, de Perrault, la mythologie.
Je n’étais jamais rassasiée, je laissais mon
imaginaire devenir fou avec toutes ces histoires invraisemblables.
Une des plus terrifiantes pour moi avait été
celle de Barbe Bleue. Je m’identifiais parfaitement à cette jeune demoiselle
maladivement curieuse, qui voulait savoir à tout prix.
Je me revois épuisant ma maman à coups de
« Et pourquoi c’est comme ça ? Et ça, c’est quoi ? Et ça,
ça sert à quoi ? ».
Je me demande comment elle a résisté à
l’ardent désir de me mettre une bonne rasade de rhum dans le lait chaud de
l’après-midi pour que je la ferme.
Cette curiosité je l’ai gardée tout au long de
mes années. J’ai essayé de m’en défaire, mais ça a toujours été plus fort que
moi. Ce désir de savoir, la sapience d’un côté et de l’autre creuser, dépiauter les choses, comprendre ce qui se tramait. Le cher « pourquoi du
comment ». Je ne sais pas combien de fois et combien de gens m’ont dit
« Cat, mais tu réfléchis trop ». Et mon cerveau n’arrivait pas
imprimer qu’on puisse réfléchir trop. Il aime trop ça, mais en même temps ne se donne pas de répit.
Et puis est arrivé internet dans ma vie.
INTERNET. Une certaine idée de la boîte de Pandore. Tu pouvais y
trouver du très bon et du très mauvais. Être à un clic de tout, de tous les
savoirs et de toutes les bêtises. Délaisser mes livres amis, délaisser mes amis
vivants. Me mettre derrière mon écran et explorer. La suite logique de tout ça a été les réseaux sociaux, ce
Wikipedia de la vie des gens. Je suis devenue une stalkeuse
professionnelle. Quand il
s’agissait d’hommes, d’ex, de faux-amis. Je creusais comme un chien fou pour
trouver ce qu’il y avait à trouver. Malsain, malaise. L’addiction était là et
la frustration réelle, quand les profils étaient en privé. Et je me voyais faire et je
voulais me stopper et je n’y arrivais pas. Un pot de Nutella avec ce goût
de "reviens-y" même si ce n’est pas bien pour toi.
Et le pire c’est quand tu décides de
faire un bout de chemin avec quelqu’un qui est aussi « branché » que
toi. Tumblr, Instagram, Twitter, Snapchat, Facebook, Foursquare, Blog autant de
canaux de communication différents, autant de prismes de la réalité, autant de façons
d’entrer en communication et de voir celle-ci dénaturée. Tout va vite, tu rentres en
immersion dans la vie de quelqu’un dix fois plus rapidement qu’avant. Son passé, ses
failles, le fond de ses pensées, tout ce qui est partagé est là et existe. Tu
vois tout, même ce que tu ne veux pas voir, si la personne en face ne te
préserve pas, si elle s’étale, tu es là, spectateur désarmé d’une vie
« virtuelle » qui n’a pas de limites. Il n’y a plus de mystère, il n’y a plus de jardin secret. Ce
flux d’informations en continu, sans tri, sans filtres. L’esprit n’a pas un
moment pour s’apaiser, ta main rafraîchit la page, tu te tortures un peu. La
donne est faussée. Avant on brûlait les lettres et les photos, on passait à
autre chose. Maintenant c’est impossible. Le travail sur soi est d’autant plus
dur, d’autant plus sévère. Un jour à la fois tu ne cliqueras pas, un jour à la
fois tu ne t’exposeras pas.
En tant que personnes privées, nous devenons
rapidement des personnes publiques. Avec tous nos comptes ouverts, notre
intime qui devient extime. Ce changement est radical surtout quand on a connu
des relations avant internet et après internet. Il doit se passer de belles choses dans notre cerveau pour qu’il réussisse à gérer ce nouveau pan
de l’affectif. Le temps n’estompe plus aussi aisément le souvenir car il peut
être ravivé d’un coup de clic masochiste. Tu auras beau partir à l’autre bout
de la planète, mettre de la distance. Celle-ci n’existe plus. Une nouvelle
norme se met en place, celle de la cohabitation de tous tes fantômes juste
« à côté ».
Je trouve cette modification des rapports
absolument fascinante, c’est une perte de contrôle, une mise en évidence des
faiblesses de notre volonté, une cristallisation de certains comportements. Si
on se mettait à appliquer le tact et surtout les égards dont on peut faire
preuve dans la vie vraie sur internet, on serait dans la création d’une dynamique de bienveillance
tellement belle. On se permet derrière un écran, des comportements qu’on
n’adopterait pas en face de quelqu’un. Ce bouclier virtuel, nous rend plus forts que nous ne le
sommes. On en vient à régler des comptes par sms, à larguer des gens dans des
photos instagram, à clasher ses ex sur twitter, à s’afficher avec de nouvelles
personnes au bout de trois semaines. Cette liberté-là n’a aucun lyrisme, cette
liberté-là n’a aucun standing, cette liberté-là est sans bienveillance.
Le dernier conte dans lequel je me suis
plongée, n’en était pas vraiment un. C’était la découverte d’une des premières
religions monothéiste au monde : le zoroastrisme. J'ai
gravé dans mon cerveau, leur motto :
« Bonne
pensée », « Bonne parole », « Bonne action ».
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